C’est en pleine chaleur caniculaire au mois d’août dernier que l’envie de prendre le large vers une destination atypique pour me rafraîchir m‘a prise : Spitzberg, un archipel du Svalbard entre océan Arctique et mer de Barents. Mais pourquoi donc, ce pays du bout du monde situé à 1300 km du pôle nord et où l’ours blanc fait de vous sa proie? Tout simplement pour vivre un moment unique, avoir la chance d’apercevoir des animaux arctiques et naviguer entre les icebergs alors qu’on parle tant de réchauffement climatique et de changement irrémédiable en cours.
Un rythme hors du temps
Le 16 août, j’atterris donc à Longyearbyen, la commune la plus septentrionale du monde avec ses quelques 2 500 habitants et 43 nationalités! Une rue principale, quelques maisons et immeubles aux couleurs savamment étudiées pour égayer les longues périodes sans soleil résume cette ville du bout du monde. On y flâne peu longtemps, les frontières entre ville et « wilderness » étant vite atteintes et le fusil étant obligatoire dès lors que l’on passe de l’autre côté. Une ville d’aventuriers, de scientifiques, digne d’un western! Après quelques heures de sommeil, une dernière douche, 1h de bateau et une arrivée rocambolesque sur notre camp de base, le voyage commence : nous voici au milieu de nul part ou plus exactement au cœur d’un monde sauvage. C’est le début de 13 jours hors connexion, hors du temps, ou les journées s’enchaînent sans nuit et où le seul repère devient le réveil de Tito, notre guide. Qu’il soit 23h ou 2h du matin dans la vie réelle, lorsque Tito règle les aiguilles du cadran, il est officiellement dans notre monde 22h30. Il nous reste alors 30 minutes pour la vaisselle, le brossage des dents et le coucher avant que ne sonne le premier des tours de garde qui s’enchaineront de 23h à 9h du « matin ». Tout au long de notre nuit lumineuse, chaque équipe désignée par tente enchaîne 2 heures de veille sur notre campement pour guetter une visite inopinée du maître des lieux, l’ours blanc.
Emerveillement entre Icebergs grandioses et toundra « désertique »
Selon notre heure de veille qui varie d’un jour à l’autre, le réveil est plus ou moins douloureux et sortir du duvet si chaleureux devient un long supplice selon le nombre de couches de vêtements froids et humides à « empiler ». Un geste à répéter lorsqu’on se recouche pour quelques heures avant de se relever pour vivre notre journée officielle de 10h en moyenne. La température dehors oscille entre 3 et 7 degrés lorsque le vent ne se mêle pas de nous refroidir plus vite. Impossible de se réchauffer autrement qu’en étant actif ou en buvant une boisson ou une soupe fumante que l’on a bonheur à tenir serrée dans ses mains. Il faudra attendre les dernières 24h du voyage pour apprécier ce que l’on nomme une « douche » qui plus est chaude. En attendant, on fait avec les moyens du bord, et sa propre témérité à se laver à l’eau glacée. On en est presque rendu à l’état sauvage …
Les jours s’enchaînent au fil de l’eau…. Le kayak est notre moyen de transport privilégié pour notre voyage itinérant. Il nous permet de glisser à la rencontre des glaciers se jetant dans la mer, de les approcher au plus prêt en navigant entre les icebergs et la glace pilée. Lorsque les détonations grondent et s’enchaînent, ce n’est pas le ciel qui se déchaîne mais le glacier qui craque et laisse échapper de son front ses morceaux de glace qui partent à la dérive. Dès lors, la mer s’agite, ondule et berce nos kayaks, nous offrant un spectacle grandiose et de nouveaux icebergs telles des sculptures de glaces autour desquelles naviguer. Pagayer dans cet univers et qui plus est découvrir sur son îlot de glace un phoque barbu se faisant dorer la pilule nonchalamment : c’est également l’un de nos bonheurs!
Entre deux et au fil des randonnées…. on découvre un paysage de toundra où les arbres font à peine 2cm et où les champignons culminent au-dessus de leurs cimes! C’est un monde de mini-pousses qui recouvre en grande parti un relief escarpé. Tandis qu’en bordure du fjord en lieu et place des anciens glaciers se dessinent les moraines, ces collines de débris rocheux délaissés par leur fonte et terrain de cache cache idéal pour l’ours blanc. Sous nos pieds toutes les sensations s’enchaînent randonnée après randonnée. On marche tantôt en s’enfonçant durant des heures dans la toundra comme dans une moquette épaisse, tantôt sur une prairie rase aux couleurs ocres tachetée de névé ou bien encore en traversant des pierriers vertigineux. Le but de la journée? « Etre rentrée avant la nuit ! », comme aime à le répéter Tito. La nuit n’existant pas, on chemine entre les différents décors, on grimpe d’un sommet à l’autre pour voir ce qui se cache derrière celui-ci et découvrir qu’il nous faut gravir un second puis un troisième avant d’assouvir notre soif. On se rend alors compte que l’on marche depuis des heures déjà et que le camp se dessine désormais en pointillés au loin. Il nous faudra encore bien des heures de marche avant de caler l’horloge sur 22h30.
Rencontre avec les animaux arctiques
Mais ce voyage ne se résume pas à marcher, pagayer, dormir ou surveiller. C’est aussi la chance inouïe d’observer et approcher les animaux à l’état sauvage. Nous sommes avant tout dans un parc naturel préservé, où l’homme ne chasse pas. Ce paramètre est extrêmement important car c’est parce que l’homme n’y est pas prédateur que l’on peut approcher de si prêt les rennes, les renards polaires, les oiseaux, les phoques et apercevoir l’ours polaire!
Chacun à sa façon sent notre présence. Les rennes nous regardent, broutent, nous regardent encore puis se mettent à courir et à revenir sur leur pas pour jouer et nous observer à leur tour. Le renard polaire rôde autour du campement à la recherche des restes que nous aurions pu laisser échapper et faisant peu de cas de notre présence à quelques centimètres de lui. On se croirait dans le petit Prince, si proche d’être apprivoisé. Les pétrels ou fulmars boréals s’envolent devant nos kayaks, tournoyant, rasant l’eau en jouant autour de nous comme dans un ballet bien orchestré. Les sternes arctiques sont quant à elles gracieuses et les observer en vol statique avant de plonger sur leur proie et un vrai plaisir des yeux mais mieux vaut ne pas les déranger sous peine d’entendre leur cri impressionnant et de subir leur vol en piqué doublé de coup de bec pointu qui ne laissent pas indemne. Le renard polaire saura mieux vous en parler. Le macareux, cousin du petit pingouin était aussi au rendez-vous parcimonieusement. Sans compter les bernaches alors en plein entraînement intensif pour effectuer une migration en bonne et dû forme. Celle-ci ne pouvant s’effectuer qu’à partir du moment où le groupe forme un V parfait en vol migratoire, ce fut l’occasion d’observer des entraînements quelque peu bordélique. Et non ce n’est pas inné ! Les canards étaient aussi bien présents, plongeant sous l’eau à l’approche de nos kayaks pour réapparaître plusieurs mètres plus loin. A ce propos, en période de veille, j’ai pu observer à plusieurs reprises, les canetons en cours de plongé avec leur parents. La encore c’est loin d’être inné et le temps d’apnée bien inégal d’un petit a l’autre.
En un mot…
J’aurais tant à écrire et dire sur ce temps d’observation fabuleux. Pour la première fois de ma vie, j’ai pris le temps. Le temps de prendre le temps! Et cette sensation, je la souhaite à chacun d’entre nous. Elle permet de prendre totalement contact avec la nature et de mieux l’appréhender. On peut sentir la joie, la peur, la tension, le jeu, la colère, le chagrin à travers chaque espèce. On est si semblable en réalité, que ça en est émouvant. En partant réaliser ce voyage, je voulais avant tout voir les icebergs et pagayer au fil de l’eau. La réalité a été bien plus grande, plus puissante. Comme dit Pauline : « Spitzberg mon amour! » c’est un virus que l’on attrape en venant ici. Je ne suis pas certaine que mes mots puissent suffire à vous faire ressentir ce que j’ai vécu. C’était de l’ordre du voyage initiatique, un voyage qui vous ramène à l’essentiel. On peut trouver ce monde austère, dur, parfois violent. Nous étions 10, nous sommes revenu à 10 ;) le cœur serré, plein d’émotion et de souvenirs de franches rigolades. Cela resserre un groupe de veiller les uns sur les autres.
A Tito, Pauline et mes compagnons de route.